Babel bluff
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par panaiolfchkt, le 19/10/2019

Compréhensible dans toutes les langues

La parabole biblique est une source thématique inépuisable pour la science-fiction. Qu'on songe à l'exode vers la terre promise ou encore l'arche de Noé. Le schéma originel est facilement transposable dans le futur pour trousser une histoire qui offre toujours quelques réminiscences de notre vieille culture judéo-chrétienne. Cette fois c'est le mythe de la tour de Babel que Christopher Stork réacclimate dans un futur proche. On se rappelle notre enseignement de catéchisme: un roi veut défier l'éternel et construit à cet effet une immense tour qui pointe sa flèche vers le ciel. La colère du tout puissant mettra un terme à cette ambition folle. Pire même, les hommes qui, jusqu'à présent étaient unis par la même langue se voient affectés d'un idiome, distinct les uns des autres, qui empêche toute communication et réduit ainsi les tentatives de se hisser au rang de leur créateur. Mais cette fois-ci l'auteur agrémente son récit d'une problématique actuelle, la parabole biblique ne servant que de fil directeur: les relations entre les pays du Nord et du Sud de l'hémisphère terrestre mais en inversant les perspectives. C'est désormais l'Europe qui s'abime dans les famines et les guerres et devient ainsi le continent paria de l'Histoire. L'Afrique est le continent pilote qui oriente désormais la destinée de l'humanité. Mais l'espace, d'abord en voie d'être colonisé mais dont l'entreprise marque le pas, est aussi peuplée d'entités extra-terrestres, aux apparences faussement bienveillantes, qui s'appuieraient bien sur les divisions entre les hommes pour mieux les assujettir à leur domination. Une fois posées ces prémisses, l'auteur développe une intrigue où se mêlent rivalités, complots, stratégie de pouvoir avec des alliances versatiles entre hauts dignitaires de ce directoire de l'humanité en passe de finir sa trajectoire comme la fameuse tour de la légende., le tout dans l'indifférence générale face au danger extérieur qui menace. On le sait, Stork privilégie souvent dans ses romans les thèmes d'actualité par rapport à la SF illustrative. Pas de tableau onirique ni d'images qui présagent l'avenir. Il décline toutes les facettes de son sujet comme un entomologiste de notre destinée future en multipliant les situations romanesques comme autant de messages adressés au lecteur. D'où quelquefois l'impression que les personnages sont pris dans un corset de stéréotypes qui efface les nuances psychologiques. Le jeu de rôles se construit autour d'une problématique centrale qui finit par prendre le pas sur leur subjectivité. On a quelquefois le sentiment de naviguer entre divertissement populaire et discours à la gravité un peu empesée et statique trop démonstratif pour crédibiliser les personnages qui en sont les acteurs. Le message diffusé n'en est cependant que plus limpide: plutôt que de s'enfermer dans des clivages et des rivalités stériles, l'humanité gagnerait à les dépasser pour conjurer les risques d'emprise et d'hégémonie qui menacent sa liberté et même sa survie. Cette Europe livrée à la barbarie et qui a abdiqué toute ambition d'être civilisatrice est sans doute la plus flagrante allégorie de ce danger qui subrepticement se profile. Une sorte de miroir déformant de nos vérités refoulées. Stork excelle aussi dans les descriptions des luttes clandestines de pouvoir dont il a déjà fait l'axe central de plusieurs de ses romans (Vatican 2000, tout le pouvoir aux étoiles, l'an II de la mafia). N'y manque même pas la représentation de la femme corruptrice, voire castratrice, qui séduit, manipule en n'hésitant pas à se faire la complice des plus noirs desseins. Le récit est agréable et même si certaines scènes sont attendues, la fluidité de la narration n'en fait pas un écueil insurmontable. Un seul mot: plaisant, un adjectif qui se comprend dans toutes les langues.