Mona Ozouf : portrait d'une historienne. Y a-t-il une crise du sentiment national ?
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par solon, le 21/04/2020

Un très beau portait choral d'une grande dame des lettres

Ce livre restitue les mille et une facettes de la grande historienne et femme de lettres qu'est Mona Ozouf. Construit à partir d'une rencontre qui s'est tenue à l'abbaye de Fontevraud en juin 2016, le livre retrace sur le mode choral l'itinéraire intellectuel de Mona Ozouf à travers une série de 13 interventions qui évoquent ses différents cercles amicaux (au collège de Caen avec Michelle Perrot et Nicole Le Douarin ; avec François Furet...) et ses nombreux centres d'intérêt (la Révolution française, le féminin, la cause des livres...). Les contributions font intervenir des intellectuels prestigieux tels que Pierre Nora, Michel Winock, Philippe Raynaud ou Claude Habib. Ces articles sont précédés d'un texte de Mona Ozouf intitulé « Y a-t-il une crise du sentiment national ? », particulièrement inspirant. Dans ce texte, Mona Ozouf y distingue d'abord soigneusement la "nation" de deux termes voisins : le "pays" (de plus petite échelle et investi d'une sentimentalité supérieure) et la patrie (qui est chargée plus héroïquement). Par rapport à la patrie, la nation apparaît alors à Mona Ozouf comme « un terme plus intellectuel que charnel, plus descriptif que prescriptif et susceptible d'un usage neutre ». Mona Ozouf s’interroge ensuite sur la date de naissance de ce sentiment national et rappelle que les historiens datent son émergence du « grand basculement de la révolution française » puisque les états généraux se baptisent eux-mêmes « Assemblée nationale ». Toutefois, elle rappelle, d’une part, que l’on pourrait des traces de ce sentiment dès de la guerre de cent ans avec la figure fédératrice de Jeanne d’Arc et, d’autre part, que c’est entre 1870 et 1914 que s’est construit un tel sentiment « à travers le journal, la caserne et l’école ». En définitive, Mona Ozouf s’inscrit dans la filiation du célèbre texte de Renan : pour elle, la nation est à la fois une volonté et un héritage, la gauche mettant l’accent sur la première quand la droite privilégie le second. Mona Ozouf pointe alors les quatre principales menaces qui pèse sur ce « nous » collectif : - la montée de l’individualisme dans les sociétés modernes qu’illustre la montée du sentiment de n’être pas bien ou même pas représenté ; - la mise en cause de l’école pour son laxisme et son inefficacité et l’abandon de l’enseignement de l’histoire, cette discipline étant au surplus prise entre une culpabilisation du passé et une impossibilité à se figurer l’avenir ; - la dilution du sentiment national dans un autre ensemble, l’Europe, qui alimente l’idée d’un dépérissement du vivre-ensemble national et fait paradoxalement resurgir l’attachement à sa région ; - la présence massive sur le territoire national de populations immigrées mises en demeure d’assimiler sur un temps très court les règles qui ont façonné la conscience nationale. Cependant, pour Mona Ozouf, ces quatre menaces ne signifient pas la mort du sentiment national. Elle repère ainsi dans le passé récent une occasion volontaire et des occasions involontaires de restauration du sentiment national. L’occasion volontaire est celle du débat que le président Sarkozy avait organisé sur l’identité nationale. Même si Mona Ozouf estime que ce débat avait deux défauts majeurs, celui d’être organisé de manière centralisée et celui de rechercher une identité comme essence fixe, il a eu le mérite de faire repenser le sentiment d’identité, dans le sillage de Paul Ricoeur, non sous les espèces du même (idem) mais du soi (ipse) en mettant l’accent sur l’inévitable accent de réappropriation individuelle qu’il comporte. Les occasions involontaires tiennent aux attentats de janvier et novembre 2015 et à la grande manifestation de janvier 2015. Mona Ozouf voit dans ces événements la persistance du sentiment national constitué de trois éléments : - l’attachement à la libre communication des pensées et des opinions dans le sillage des Lumières (la France reste une patrie littéraire), - l’attachement à la mixite sexuelle dans le sillage de l’Ancien Régime (la France reste le pays de femmes, comme l’avaient déjà relevé les voyageurs des XVII°, XVIII° et XIX° siècles), - l’attachement à une patrie du bonheur de vivre, symbolisée par les cafés. Mona Ozouf estime que le sentiment national s’est patrimonialisé et sentimentalisé et ne dérive plus de la grande nation héroïque à vocation universelle. Dans sa conclusion, elle voit dans le slogan « Je suis Charlie » une possibilité de se dépasser soi-même par l’affirmation que je peux être ce sue je ne suis pas au nom d’un principe supérieur. Ce principe, appliqué aux nations, lui semble être la seule façon de ne pas tomber dans le nationalisme.