Collection(s) : Littérature
Paru le 08/04/2021 | Broché 151 pages
Adrien Tournier
(LIBRAIRIE L'ATELIER)
"C'est peut-être au fond une île, un pays qui ne se laisse pas raconter, ou alors superficiellement... Un tabou peut-être. Voilà : un tabou. Plus fort encore que l'interdiction. L'Occident nous avait pris notre tapu, qui veut dire aussi sacré, et en a fait le tabou. (....) Et aujourd'hui les tabous originaux, primitifs, ont été détruits pour être remplacés par d'autres, plus lointains, plus improbables."
On peut compter si peu d'ouvrages qui racontent la vie à Tahiti, en Polynésie, ce territoire dit ultra-marin qui relève de la république française et dont on entend si peu les habitants. On sait à peine, et depuis peu somme toute, que l'État français a menti sur un essai nucléaire en Polynésie française effectué en 1974. Cela n'est pourtant pas rien, selon certains experts du nucléaire de tels essais ont répandu des radiations dans l'atmosphère, et par là retombent sur toute la planète. On sait aussi très peu qu'il y a eu des journées d'émeutes en septembre 1995 à l'aéroport de Tahiti contre la reprise des essais nucléaires à Mururoa et Fangatau. Les luttes pour l'indépendance de l'île voulaient aussi dire refuser d'être le terrain de jeu du nucléaire français, métropolitain. Le roman nous plonge dans les années qui précèdent ses émeutes, la montée des discussions autour de l'indépendance, les colères qui s'accumulent.
Avec Mûtismes de Titaua Peu (je ne peux reproduire ici l'accent diacritique du titre, qui est aussi appelé macron souscrit mais cela n'a rien à voir), les éditions "au vent des îles" permettent de défaire une partie du silence qui entoure ces histoires et celles des habitants de ce territoire si mal connu et quand il est raconté si mal décrit sans doute. Comme le dit l'autrice, "relisez Bougainville, et vous goûterez à l'exotisme. De cet exotisme pur, de ces considérations colorées et naïves car le séjour de ce dernier n'a duré qu'une semaine." Lire Mûtismes, c'est presque une nécessité pour connaître autrement Tahiti.
Ce roman réécrit l'Histoire de Tahiti, ou plutôt l'écrit et la transmet, la sort de sa capture et du silence qui l'entoure, sans rien écarter de sa dureté ou de sa complexité. C'est un roman initiatique qui raconte une vie, ses espoirs, ses amours, ses échecs et ses exils, un roman qui initie aussi ceux qui le lisent à la société polynésienne.
Titaua a écrit ce roman en 2003, il est fort heureusement disponible aujourd'hui en "France métropolitaine", le silence peut être long.
« Mutismes, pour tous ces silences qui ont miné l'âme polynésienne... »
Tabous et non-dits, frustrations et conflits, zones d'ombre et de silences. Autant de maux qui gangrènent la société polynésienne des années 1980 à 2000.
Face aux drames qui bouleversent sa vie, depuis son enfance exposée à la violence du père, jusqu'à l'adolescence marquée par les départs et les arrachements, tandis que des atolls se font souiller par les tirs nucléaires d'une mère patrie dont elle ignore tout, cette jeune fille doute de sa foi en l'humanité. Seule son admiration pour Rori, activiste politique indépendantiste au charisme incontestable, parvient à lui redonner le sourire et à insuffler un sens à sa vie. Mais l'amour ne peut aveugler éperdument : il lui faudra s'exiler à 22 000 kilomètres, sur cette terre française étrangère, pour trouver la force de mettre des mots sur l'indicible. Et tenter de (ré)écrire l'histoire de son pays.
Avec ce roman social et initiatique, Titaua Peu s'attelle à poser des mots sur les silences, à créer de la parole là où elle a été confisquée, oubliée. L'auteure de Pina (Prix Eugène Dabit en 2017) n'a jamais eu des termes aussi justes que lorsqu'elle évoque les silences, soulignant les non-dits et les interdits d'une société en perdition.
Mū, n.c. tahitien : silence de quelqu'un qui a quelque chose à dire mais qui se tait. (Dictionnaire de l'Académie tohitienne - Fare Vāna'a)
