Au diable les yeux verts

Dans une tranquille bourgeoisie bretonne que ne renierait pas Guy de Maupassant, Margot Bruyère introduit une troublante dimension irrationnelle, diabolique sans doute, maléfique peut-être : sous le regard d'un serpent surnaturel, tandis qu'une cloche sonne sans raison, des femmes aux yeux verts d'hypnotiseur et à l'odeur envoûtante de la vie se transmettent un pouvoir à la fois dérisoire et décisif, celui de détruire le papier qu'elles touchent : l'encre pâlit, le message humain disparaît.

Pour elles s'affronteront un prince russe maléfique et un honnête ingénieur en papeterie.

En ce début du vingtième siècle, alors que la Science et la Technique triomphaient sans partage, alors qu'Auguste Comte semblait vouer l'inexplicable à une disparition inéluctable et prochaine, quel plus beau symbole de la Connaissance pouvait-on trouver que le papier et le message écrit ?

Dans son ouvrage précédent, Margot Bruyère décrivait un monde mystérieux, certes, celui des mathématiciens, violent sans doute, puisqu'on y tuait, mais accessible, puisque situé à quelques kilomètres du Paris d'aujourd'hui. Ici la sourde angoisse qu'elle nous transmet est plus profonde et plus intemporelle. Si l'irrationnel y côtoie l'ordonné, c'est aussi que la frontière entre le monde du roman et le monde réel est plus ténue qu'il n'y paraît.