Collection(s) : Banc d'essais
Paru le 06/09/2001 | Broché 110 pages
Public motivé
traduit de l'anglais et présenté par Layla Raïd | préface J.-L. Craft, Ronald E. Hustwit
Aujourd'hui, j'ai fait une nouvelle promenade avec W. au-dessus de la gorge de Taughannock. Alors que nous étions assis, il a dit qu'il en était peu à peu venu à voir que la vie n'était pas ce qu'elle semblait être. Il est resté silencieux pendant quelques minutes. Puis il a dit : «Voilà ; dans la ville, les rues sont bien tracées. Et vous roulez à droite, et vous avez des feux aux carrefours, etc. Il y a des règles. Quand vous quittez la ville, il y a encore des routes, mais pas de feux. Et quand vous allez plus loin, il n'y a plus de routes, plus de lumières, plus de règles, rien pour vous guider. Il n'y a plus que les bois. Et quand vous revenez en ville, vous pouvez avoir le sentiment que les règles sont fausses, qu'il ne devrait pas y avoir de règles, etc.»
Cela ne m'a pas beaucoup éclairé. Plus tard, pendant que nous marchions, il a dit : «Ça revient à peu près à ça. Si vous avez une lumière, je vous dirai : "Suivez-là." Il est possible qu'elle soit bonne.»
Dans les deux dernières années de sa vie, Wittgenstein s'est lié d'amitié avec O.K. Bouwsma, philosophe américain. Celui-ci consigna régulièrement leurs conversations sous forme de notes.
Il est rare de pouvoir assister à l'émergence des idées d'un philosophe. On découvre ici Wittgenstein parmi ses proches, on le voit réagir à ce qu'ils disent, aux événements quotidiens : sur-le-champ, il engage une discussion serrée, improvise une analyse conceptuelle ou dissipe une confusion par une formule, une image. Disciple fervent, Bouwsma a fait plus que recueillir méticuleusement quelques-unes des dernières réflexions de Wittgenstein sur la morale, la religion ou la littérature : il nous fait entrer dans la fabrique de sa pensée.