Collection(s) : Indigo
Paru le 24/03/2014 | Broché 127 pages
Au mois de mai 1990, me trouvant à La Havane, j'ai rendu visite à Dulce María Loynaz. Accompagné du poète Manuel Díaz Martínez, j'ai poussé la grille de la légendaire demeure. Une voix délicate, menue, a fait taire les chiens pour nous permettre d'entrer. Bientôt, dans les multiples pièces malmenées par l'humidité tropicale qui nous entouraient, je vis tous ces objets qui intriguaient déjà Juan Ramón Jiménez en 1937 : les tableaux, les bronzes, les porcelaines, les éventails, les bibelots, les photos, les livres entassés en piles instables. Assise devant nous dans un fauteuil colonial, ses mains très fines posées sur sa longue jupe grise, son visage très blanc sous la vague ondulante et soignée de ses cheveux d'argent, la poétesse semblait attendre patiemment les questions que nous ne cherchions pas à lui poser ; ses yeux que l'on sentait menacés par la cécité derrière les lunettes d'écaille - où était la chaînette d'or de Juan Ramón Jiménez ? - nous observaient avec une malicieuse sérénité ; le sourire était à la fois accueillant et aristocratiquement triste. Devant notre silence, Dulce María nous parla de ses projets : Un livre sur le quartier du Vedado où elle avait toujours vécu, le Vedado avec son histoire, ses légendes, ses traditions et ses coutumes. Quand elle évoquait ses amis, ceux qui avaient vécu chez elle comme García Lorca ou Gabriela Mistral, des sous-entendus discrets donnaient un sel sceptique ou amusé à ses souvenirs. Avant de me quitter, Dulce María alla chercher quelques précieuses éditions originales qu'elle me dédicaça de son écriture haute et penchée, d'un bleu marin, à laquelle l'âge n'avait rien enlevé de sa fermeté.
Et je lui promis de traduire les poèmes qu'on lira aujourd'hui.
Claude Couffon