Paru le 01/03/2001 | Broché 221 pages
Nous avons tous deux enfances.
Celle du dessus, des apparences, celle des photos des premiers pas ou des réunions de famille. Celle des souvenirs. Celle-ci prend fin à l'adolescence.
Et puis celle du dessous, celle du sens caché. Celle du filigrane et du silence prudent. Celle-là parle d'une voix sourde, ou étrangement claire. Elle parle de lumière et de légèreté. Elle est muette devant autrui.
Elle est toujours grave, même quand elle rit.
Elle n'est jamais triste, même quand elle pleure.
Cette enfance-là peut durer toute la vie, pour peu qu'on sache la percevoir sans l'emprisonner, la regarder sans la diriger, la vivre sans la saisir.
«... Mona pour moi a toujours été là. Elle a le goût de l'intérieur. C'est à ma mère, et à elle, seule, que j'adresse mon premier babil. Elle est l'autre visage féminin de ma prime enfance. L'autre moitié.
Dans notre berceau commun les liens sont invisibles, mais je les connais. Ils sont souples et ronds, tendres et tièdes comme de la chair d'enfant. Ils ont une odeur, une saveur, un toucher. Mona sent bon. Bébé, je porte à ma bouche les parties de son corps bébé qui me sont accessibles, comme font les enfants de tout ce qui les entoure. Le monde a un goût, il est bon pour moi. Mona est lisse comme un galet, chaude comme un ventre. Je la consomme avec frénésie. Nos quatre parents nous observent et rient.»
