Paru le 19/07/2019 | Broché 275 pages
Professionnels
avec la participation d'Abderrahim Saguer
La majorité des arabisants, sémitisants et linguistes adoptent, pour organiser le lexique des langues sémitiques, le concept de « racine », élaboré voici une douzaine de siècles par Sîbawayhi et son « maître » al-Khalîl. Certains sont même allés jusqu'à prendre ce concept pour une réalité innée présente dans le cerveau des locuteurs de ces langues, alors qu'il a été démontré par les travaux antérieurs de l'auteur qu'il échappe totalement à la conscience spontanée des locuteurs natifs. De nombreuses études ont de surcroît prouvé qu'il s'agit d'un concept trop abstrait pour organiser la phonologie et insuffisamment abstrait pour organiser le lexique. L'organisation fondée sur la racine échoue en outre à expliquer les principales caractéristiques de l'arabe : son extraordinaire propension à la synonymie, à l'homonymie et à l'énantiosémie.
Alors pourquoi la majorité des savants s'obstine-t-elle à demeurer fidèle à ce concept ? La réponse tient au fait qu'elle se fonde sur des théories linguistiques qui, se limitant au niveau des phonèmes et des morphèmes, n'adoptent pas les postulats et cadres conceptuels adéquats, ni la démarche et les unités empiriques pertinentes, et échouent donc à identifier les principales composantes du lexique de l'arabe que masque justement l'organisation fondée sur la racine (tri- ou quadriconsonantique).
Or la recherche évolue, précisément au fil de la découverte des inadéquations des concepts et modèles (ainsi la phonologie structuraliste ne domine-t-elle plus le champ, et a-t-on vu naître la phonologie autosegmentale ou la théorie de l'optimalité...). En matière de linguistique arabe, de même, a émergé à la fin du XXe siècle un paradigme nouveau, désormais vérifié sur de grands corpus, articulé en trois grandes composantes :
Cette organisation tripartite permet de rendre compte du pullulement des synonymes, ainsi que de l'homonymie et de l'énantiosémie, abondamment présentes dans le lexique de l'arabe, alors que la conception traditionnelle qui prend la racine pour un primitif ne peut que se borner au constat.
Georges Bohas, membre correspondant de l'Académie de langue arabe de Damas, est professeur émérite à l'ENS-Lyon. Il a longtemps étudié les théories des grammairiens arabes auxquelles il a consacré sa thèse de Doctorat d'État et un ouvrage, considéré maintenant comme un classique, The Arabic Linguistic Tradition (1990) (en collaboration avec J. P. Guillaume et D. E. Kouloughli).