Collection(s) : Pourpre et Or
Paru le 08/11/2022 | Broché 220 pages
préface de Gérald Duchemin
Monsieur de Bougrelon
« Je suis une idée dans une époque où il n y en a plus. »
Imaginez deux touristes, dont le narrateur, perdus à force d'ennui, dans une Amsterdam assoupie de brume et de pluie. Soudain, une enseigne les capte : Café Manchester. C'est un bouge, bas des reins comme ses putes, et pourvu d'une seule fenêtre. Monsieur de Bougrelon, un habitué, sorte de vieux dandy décati, se présente à nos deux gaillards. A partir de là, plus rien ne sera comme avant. Le roman s'ouvre à une autre Amsterdam.
Au vestiaire, moulins et tulipes, adieu tiède prostitution, et opium ramolli ! Place à une ville étrange, au bord du monde, toujours à disparaître à mesure qu'elle se dévoile : les maisons y sont en cornes, les heures ont 120 minutes, les assiettes parlent, les asperges sont des phallus, un bocal d'ananas contient tout l'Atlantique, certaines têtes repoussent les balles, une Espagnole est quinze fois tatouée par des gemmes rouges incrustées à même la peau, une ogresse hollandaise se prend d'amour pour un colossal Ethiopien, de solides matelots dansent à bras-le-corps, des spectres vadrouillent, des yeux verts phosphorent ici et là, une fourrure de caniche dépecé sert de manchon, et j'en passe.
Jean Lorrain (1855-1906) est bien plus qu'un écrivain décadent ou fin de siècle. Sa verve enchante par ses arabesques, ses trouvailles, son humour, sa puissance d'étreinte, ses aphorismes, sa fantaisie, son grotesque, « sa profondeur exacte et outrée », pour reprendre les mots de Léon Blum. On reconnaît en Bougrelon un Barbey d'Aurevilly finissant, mais apte à jubiler, et à fulminer... On entrevoit aussi un Lorrain méditant sur la vie, la mort, l'art, et l'amour...