Paru le 14/09/2001 | Broché 157 pages
traduit par Jacques Duvernet | traduit de l'italien par Stefano Ricci
Elle est toute grise, avaient-ils sans doute pensé, on dirait qu'elle veut aller mettre au clou sa pauvre carcasse. Alors, où va-t-on, demandons-nous d'une voix mielleuse en essayant d'éviter de ricaner, nous ne voulons quand même pas lui faire peur. Nous la regardons, l'air sérieux. C'est ce qu'on nous a appris, de regarder les gens dans les yeux quand on leur parle. On nous l'a appris, et c'est ce qu'on fait maintenant, mais la fille bredouille et baisse les yeux, elle veut décamper sans dire bonjour comme il faut, cette bécasse. Là, elle s'est trompée d'adresse, elle a intérêt à nous répondre, maintenant nous n'essayons plus d'avoir des voix gentilles. Maintenant, nous sommes des hommes, des vrais, et quand il s'agit de bonnes manières, pas question de rigoler, ça aussi, ça s'apprend, de savoir imposer sa volonté. Si elle ne veut pas répondre, et bien droite, au garde à vous, elle va s'en prendre une ; nous parlons d'une voix douce. Mais elle ne sait pas se tenir comme il faut, ça se voit tout de suite, alors nous lui barrons la route, les jambes écartées. La bière peut attendre, et nous disons aussi, alors qu'elle recule à tâtons pour allumer la lumière du porche de l'immeuble : mais je la connais, cette putain juive, encore une qui s'en met plein les poches pendant que nous autres, on se tue au travail.
C'est à peu près comme cela qu'Anna s'était imaginé cette scène dont Franziska ne voulait presque rien dire...
Mariella Mehr est née en 1947 à Zurich d'une mère jenisch (communauté tzigane). Et, depuis plus de vingt-cinq ans, elle grave sur le papier la mémoire de cette communauté.
Elle vit en Italie.
Jacques Duvernet a traduit en français Einstein, Hesse, Thomas Mann et d'autres écrivains.