Insurrection culturelle avec Jonathan Nossiter et Olivier Beuvelet

jeudi
22
octobre
20h00

Rencontres et Débats

Lieu : Le Genre urbain 60 rue de Belleville 75020 Paris M° Belleville ou Pyrénées

Rencontre - projection - débat et dégustation avec Jonathan Nossiter et Olivier Beuvelet autour de leur dernier livre : Insurrection culturelle (Stock)

Projection en première partie de soirée du film "Résistance alsacienne"

Note de Jonathan Nossiter :
Je me retrouve aujourd’hui, comme beaucoup d’artistes et d’artisans, dans un état de terreur devant mes enfants. J’ai construit ma vie autour de l’idée que le travail d’un cinéaste, comme celui d’un écrivain, d’un peintre, d’un journaliste, d’un professeur, d’un libraire -de tout acteur culturel qui travaille une matière avec ses mains et son esprit- a une place essentielle dans la société. Nous persistons dans cette voie contre tout bon sens, rêvant que ce travail concret ait aussi une dimension immatérielle. Surtout, nous essayons de sublimer notre propre expérience de la vie avec celle des autres – dans mon cas, ceux que je filme tout autant que ceux qui regardent ce que j’ai filmé.
Depuis que les arts et la culture ont commencé à prendre la place de la religion, à la fin du XVIIIe siècle, accompagnant le long processus de la démocratie et de la méritocratie, l’activité artistique a contribué à faire rêver et à faire penser -donc forcément à émanciper- toutes les couches de la société. Et la part sacrée, la foi dans la culture, ont pris de plus en plus d’ampleur au fil du temps ; jusqu’à ce qu’on arrive à cette époque où on se demande si la foi, le sacré et la culture elle-même, ont encore la moindre valeur pour la société.
Né en 1961, j’ai grandi dans l’idée qu’une continuité culturelle me liait directement, malgré l’humilité de mon statut, à Homère, à la bible, aux racines de ma propre civilisation. Aujourd’hui, en 2015, quand je regarde mes enfants, Capitu et Miranda, des jumelles de dix ans et Noah, un garçon âgé de neuf ans, je me sens obligé d’envisager la possibilité que, lorsqu’ils seront devenus adultes, l’activité de leur père - le travail de sa vie comme cinéaste semblera aussi marginale, anachronique et anecdotique que celle d’un charretier, d’un rémouleur ou d’un maréchal-ferrant.
Et tout aussi inutile pour leur futur…
 
Avis au lecteur (texte de Jonathan Nossiter) :
Aujourd’hui, aucun acteur culturel ne se pose pas la question de sa propre survie dans un monde qui est en train de les expulser à une vitesse et avec une efficacité inédite dans l’histoire de la civilisation. Pour autant, ce livre ne s’adresse pas seulement aux artistes et aux artisans concernés mais aussi à tous ceux qui croient que la culture est essentielle à leur survie.
La situation est grave et exige des réactions urgentes. Il est possible que dans l’exemple discuté dans ces pages, on trouve une voie de sortie, de survie et peut-être même, grâce aux agriculteurs, qui sont les auteurs inattendus de ce phénomène, une nouvelle floraison culturelle.
Ce livre est un ovni. Fruit d’une collaboration entre un chercheur en cinéma et un cinéaste (un « trouveur » en cinéma ?), il s’appuie sur la trajectoire hautement subjective du cinéaste. Il n'a pas de prétention à l'universalité mais constitue un témoignage particulier, étayé par des recherches.
Comme tout sujet qui prend la parole, j'extrapole mon expérience personnelle (c’est moi Jonathan Nossiter, « trouveur-troubadour en cinéma » qui écrit là). Le livre ne peut pas proposer plus que ce contexte limité, même s’il nourrit l’espoir de le dépasser. La réflexion sera approfondie et élargie grâce à la collaboration de mon co-écrivain Olivier Beuvelet, enseignant au lycée et à la fac, critique et blogueur en cinéma.
Ce que nous (désormais le « je » et le « nous » se confondent et dialoguent au sein d’une même écriture) vous proposons c'est de réfléchir avec nous sur l'acte rebelle de certains paysans d’aujourd'hui, des artisans de la terre qui ont accompli une petite révolution tranquille et profondément émouvante. Cet exemple d'insurrection culturelle venue des campagnes pourrait être utile à ceux qui sont aujourd’hui les plus grands exilés ; les habitants des villes. Il est possible que le mouvement du vin naturel, tel qu’il se développe depuis dix ans dans le monde entier, comme une contre-mondialisation réussie, puisse suggérer des solutions concrètes à une situation désespérante pour ceux qui font la culture autant que pour ceux qui ont envie de la recevoir comme un geste de vie et non comme un acte de consommation ; la consommation culturelle étant sa propre mort.
Il va de soi que le grand exil des artistes, la guerre menée contre leur statut dans la société est le résultat direct des désirs (conscients et inconscients) des forces de pouvoir : économiques, politiques, institutionnelles. Mais ce n’est pas la trajectoire (ni la compétence) de ce livre que d’enquêter sur la responsabilité des autres.  Notre cible est plutôt de comprendre quelle est notre propre participation et ce que nous pouvons faire dans cette grande guerre non-déclarée. Et par « notre », on entend ici les artistes et les acteurs culturels eux-mêmes, mais aussi leurs publics.  Le monde de la culture connaît aujourd’hui une maladie, dont le symptôme majeur est que, souvent, les grands acteurs culturels (les artistes comme leurs proxénètes) ressemblent plus à des banquiers spéculateurs qu'à des citoyens libres.
Dans notre cheminement de l’artiste vers l'artisan, il ne s’agira pas de nier la prétention féconde, joyeuse et libre de l'artiste. Il ne sera pas question non plus de nier son désir de beauté, ni celui de provoquer de profondes émotions, ni bien sûr son souci de témoigner de son époque en contribuant au maintien des libertés publiques. Et même si nous proposons une réflexion sur un engagement plus humble et matériel que celui qui est souvent suivi dans le monde de l’Art, nous ne renierons pas un seul instant le grand rêve de l’artiste. Tout artiste - comme tous ceux qui participent à la création culturelle - rêve de contribuer, en apportant sa petite pierre, à la continuité d’une civilisation qui remonte aux grecs et avant encore. Et, rêve encore plus quichottesque, tous souhaitent que cela perdure toujours. Ou du moins pendant cinquante ans encore. Car même si l’avertissement d’Orson Welles tient toujours - « La seule chose qui soit plus vulgaire que travailler pour l’argent, c’est travailler pour la postérité »- il faut aussi se rendre compte que la phrase avait un autre sens quand il était encore inimaginable que la culture elle-même risque de disparaître.
Peut-être s’agit-il d’inventer, au sens de découvrir, le chemin que peuvent emprunter les artistes, encensés depuis le début du XIX ème siècle et méprisés comme jamais deux siècles plus tard, pour atteindre la dignité intérieure et plastique des artisans, eux-mêmes bannis de la fête depuis longtemps. Il s’agira ici de raconter comment la renaissance de ces derniers inspire l’émergence d’une figure nouvelle dans la culture, qu’on pourrait nommer (si on se prenait plus au sérieux) « l’artisaniste. »
Surtout, dans ce monde où, chaque année, les acteurs culturels sont bannis de la société de manière plus violente, il est urgent de se rappeler que l’artiste a toujours été le vecteur et le reflet de la civilisation humaine. Ses préoccupations, concrètes ou fantasmées, étaient les nôtres. L'artiste était censé nous montrer qui nous étions et mieux ; qui nous pouvions être. Depuis les peintures des cavernes d’Altamira jusqu’à la dernière installation audio-visuelle à la Biennale de Venise, il cherchait les formes pour donner sens, continuité et espoir à la civilisation.
Ceci étant, aujourd'hui pour la première fois dans son histoire, les angoisses de l’homme se déplacent de l’ordre existentiel à une question plus profondément ontologique et plus simplement biologique ; la survie non pas de « sa » civilisation, mais de la civilisation humaine tout court, la survie de l’espèce. Il n’est peut-être pas surprenant, alors, de considérer que la place de l’artiste, celui qui est courageux et utile, se déplace des cavernes et des salles d’expositions spectaculaires aux champs. Le rôle de l'artiste est désormais repris par l'artisan-paysan, notre passé et notre avenir, sont écrits, peints, dans la terre.
Face aux urgences actuelles, c’est ce « paysaniste » qui est sans doute le mieux préparé pour nous « expliquer » le monde et nous défendre, donner sens, mais aussi espoir devant la catastrophe onto-écologique que désormais tout le monde sait -ou sent- venir. Peut-être les autres acteurs culturels s’inspireront-ils de cet engagement, afin de pouvoir nous accompagner encore un petit bout du chemin ?
Car, aussi improbable que cela puisse paraître devant le monstre polymorphe du complexe financiero-chimico-fossile qui nous amène vers un avenir aussi sombre que celui dont rêvaient les régimes fascistes en 1940, il faut imaginer qu’aux premières heures, les insurgés se sentaient probablement tout aussi quichottesques.